La politique grecque de pénalisation de l’action humanitaire
Le procès de vingt-quatre membres du personnel humanitaire s’est ouvert le 10 janvier 2023 sur l’île grecque de Lesbos. Les accusés risquaient jusqu’à vingt-cinq ans de prison sur des chefs d’accusation tels que l’espionnage et le trafic d’êtres humains. Ce procès a été largement décrié par les organisations non-gouvernementales (ONG) de protection des droits humains. Il s’inscrit dans un durcissement croissant de la politique grecque à l’égard des activités humanitaires sur son territoire.
Implantation accrue de l’aide humanitaire lors de la crise de la gestion migratoire en 2015
L’année 2015 est marquée par le plus grand mouvement de déplacement de population depuis la Seconde Guerre mondiale. Près d’un million de personnes sont arrivées en Europe. La route migratoire privilégiée depuis le Moyen-Orient passe par la Grèce. Cependant, l’État grec n’est pas en capacité d’assurer une gestion d’accueil adaptée au flux conséquent d’arrivée. Il n’a de plus bénéficié que d’une solidarité amoindrie et tardive des autres membres de l’Union européenne (UE).
L’action humanitaire a pris le contrepied en Grèce et les ONG internationales présentes sur le terrain se sont multipliées pour pallier les besoins d’urgence. Une trentaine d’entre elles se sont implantées à Lesbos, située à une dizaine de kilomètres des côtes turques.
Durcissement croissant de la politique grecque
Depuis 2015, le gouvernement grec a durci sa politique d’accueil des personnes exilées. Il a aussi rapidement mis en place un contrôle de plus en plus soutenu de l’activité humanitaire sur son territoire. Dès 2016, les ONG présentes sur l’île de Lesbos ont l’obligation de s’enregistrer auprès du gouvernement grec. Par la suite, l’ensemble du personnel humanitaire doit personnellement se faire connaître auprès des autorités grecques.
Toutes ces mesures d’identification se sont soldées par la pénalisation des membres du personnel humanitaire. Elle concerne particulièrement les participants aux opérations de secours en mer. Les accusations se fondent sur une utilisation jugée abusive des lois anti-passeurs. Selon le gouvernement grec, les personnes concernées s’adonneraient à des trafics divers sous couvert d’aide humanitaire.
Risque du conditionnement de l’aide humanitaire
L’orientation de la politique migratoire grecque via des mesures législatives et des poursuites judiciaires entraîne le questionnement suivant : l’aide humanitaire sur le territoire se voit-elle conditionnée par les orientations politiques grecques ?
Selon le principe d’indépendance de l’action humanitaire, le travail du personnel humanitaire est censé être détaché de toute opinion ou orientation politique. En conséquence, le personnel humanitaire doit normalement être en mesure de prendre en charge toutes les personnes qui le nécessitent, sans distinction. Au contraire, les mesures du gouvernement grec constituent une entrave à cette activité de solidarité. En signe de protestation, de grandes ONG comme Médecins sans frontières se sont retirées des lieux clés. Elles ont toutefois continué leurs activités dans des lieux périphériques.
Le délit de solidarité
Certains accusés ont passé plusieurs mois en détention provisoire en 2020 dans l’attente du procès, reporté plusieurs fois. Dès le lendemain de son ouverture, le procès a été immédiatement ajourné pour vice de procédure.
Pourtant, ce procès est symbolique car il est, selon Amnesty International et d’autres ONG de défense des droits humains, un « procès contre la solidarité ». Le délit de solidarité désigne justement le concept de pénalisation de l’aide aux personnes étrangères présentes sur le territoire en situation irrégulière. Il s’oppose au principe de fraternité.
Médecins Sans Frontières rappelle dans un communiqué de novembre 2022 que les actions de sauvetage opérées par les ONG ont vocation à pallier les manques étatiques et européens et sont, de ce fait, à distinguer des activités des passeurs. Elles sont toujours opérées sous la supervision de centres de coordination de secours en mer. D’ailleurs, les personnes secourues en mer Méditerranée par les ONG en 2022 ne représentent que 15% des personnes arrivantes.
Restriction croissante de l’aide aux personnes exilées dans l’Union européenne
La Grèce n’est pas le seul État de l’UE à durcir sa politique d’aide aux personnes en situation de migration. Une loi italienne de régulation des sauvetages en mer dispose depuis le 3 janvier 2023 que les bateaux de sauvetage rentrent au port après chaque intervention. Cela signifie que les équipes de sauvetage ne sont pas autorisées à entreprendre le sauvetage d’autres embarcations présentes dans la même zone. Cela réduit considérablement les possibilités de secourir et protéger en mer les personnes migrantes et exilées. Ces politiques se voudraient régulatrices des flux migratoires vers l’Europe. Elles participent en réalité à la dangerosité croissante des routes migratoires existantes.